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D'aucuns diraient qu'Atlantis ne fut qu'une cité parmi tant d'autres, un point lumineux parmi la myriade d'étoiles qui composent le grand vide de l'espace.
Mais aucuns des vrais Atlantes ne pourront nier le souvenir d'Atlantis, la cité des milles soleils, celle que le temps épargne, celle où les légendes naissent et demeurent"
Treva relit une fois de plus la citation sous la statue rongée par le temps de son ami Jolan San Naïre. Les visions d'un passé de gloire, de pertes et de grandeur de l'âge d'or de la Grande Cité. Le temps où il s'était assis pour la première fois sur le siège du ministère du premier Empire Atlante aux côtés de la déesse-impératrice Isis de San Greäl. Les noms des héros lui revinrent en mémoire; les murs de marbre du palais impérial et de la Grande Bibliothèque; la Fracture puis l'Exode de l'univers 58 jusqu'au naissant univers Gémini... Le second Âge d'Or, la trahison de Nero, la grande guerre civile, la chute des San Naïre.
Une rafale de vent chargé d'iode le tira de ses rêveries.
Désormais les toits d'or s'étaient écroulés sous les rides du temps, et la végétation luxuriante avait repris ses droits sur les bâtiments qui composait jadis la cour intérieure de la demeure de la famille San Naïre.
Du lierre grimpait le long de la statue de granit à l'effigie de son ami disparu, lui donnant un aspect baroque et presque menaçant. Le bassin qui entourait l'oeuvre s'était depuis longtemps tari, mais Treva alla tout de même s’asseoir sur son rebord, tâchant de se remémorer le bruit cristallin qui s'en échappait quant il venait rendre visite.
Il se rendit alors compte de la justesse des paroles de Jolan. Car si le peuple Atlante sombrait peu à peu dans l'oubli, ses légendes, elles, n'oublieraient jamais. Chacune d'elles a ajouté sa pierre à l'édifice de la Civilisation, par son savoir faire, son engagement et sa camaraderie. Car Altantis fut ceci: la terre d'exil de seigneurs perdus dans l'espace, qui ensemble ont formé l'Alliance la plus soudée et riche de mémoire.
Un mince sourire s'étira sur le visage du représentant de la famille San Aëgira, et il se permit une dernière fois de repenser au rat de bibliothèque tantôt ambassadeur, tantôt belliqueux qu'il était aux temps des luttes pour la gloire de la Civilisation.
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Et cette gloire, pensa-t-il,
résonnera encore pour les siècles à venir, et si ce n'est dans la Grande Cité, elle le fera dans le cœur et l'âme de chaque Atlante."
Il se leva alors, et tira la manche de son lourd manteau pour activer la balise à son bras:
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- Amiral Kalas ?"
Une voix grésillante sortit du bracelet:
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- Seigneur Treva ? En avez vous fini avec ces ruines ?
- Oui Amiral, rien à signaler: l'endroit est sans vie depuis des lustres.
- Vous ne m'enlèverez pas l'idée que c'était une pure folie d'insister pour être en première ligne d'éclaireur ! Rien n'est moins sûr que cette parcelle de la galaxie !
- Je suis seul juge de ce qui est bon pour moi maître Kalas. Occupez vous plutôt de me rapatrier, nous avons une mission sur le feu !"
Un vrombissement sourd se fit alors entendre, le sol trembla et les feuilles mortes se soulevèrent tout autour de lui. les pans de son manteau semblaient animés d'une volonté propre alors que des bourrasques ébranlait le calme du sanctuaire de ruines.
L'ombre d'Ezechiel, l'énorme Vaisseau Amiral se découpait dans les cimes des arbres, cachant soudainement le soleil et plongeant la scène dans une obscurité pâle que seules les lumières bleues des réacteurs à graviton éclairaient.
Treva sortit de l'ancienne demeure pour rejoindre la petite place qui y menait, leva les yeux sur l'immense carlingue blindée avec fierté, et se laissa porter par le lévitateur qui le mènerait dans le cœur de son bâtiment.